Le voyage vers le Haut Hrothgar avait été éprouvant. Déjà parce qu’il n’avait pas été de tout repos, et ensuite par ce qu’ils y avaient appris. Mais peu importait à Frothar, actuellement. Il restait évidemment préoccupé par ce problème de dragons, mais depuis qu’il était rentré à Blancherive la veille au soir, il ne pensait plus qu’à une chose : se reposer un peu et aller rendre visite à un ami. C’est dans ce but-là qu’il avait fait préparer Ysgr durant son petit-déjeuner, afin de pouvoir partir au plus vite. Le besoin se faisait pressant, sans qu’il ne sache réellement pourquoi : il avait juste besoin de voir Sven urgemment. De le mettre en garde contre les dragons également, peut-être. Quoi qu’il en soit, il n’avait pas tardé, mettant ses doutes et ses inquiétudes de côtés pour se concentrer sur des choses bien plus réjouissantes. Tant qu’elles étaient en vie.

Herulf n’était pas avec lui aujourd’hui. Il n’avait pas pu profiter énormément de son compagnon de fourrure depuis son retour, et la bête lui manquait déjà. Il pensait savoir que Sven appréciait le chien ; mais une partie de chasse ferait certainement le plus grand bien au canidé, et Frothar l’avait laissé partir avec deux Compagnons de confiance dans ce but. Sven vivait à l’extérieur de la ville, là où ses chevaux pouvaient avoir toute la place nécessaire à leur croissance et leur éducation. Et leur bien-être. Ysgr lui-même venait de cet élevage, et le général n’avait jamais été aussi content de sa monture. Il mit peut-être un peu plus d’une dizaine de minutes pour faire le trajet de Fort-Dragon jusqu’à l’écurie, mais le temps s’y prêtait agréablement ce matin. Malgré le froid de l’hiver, le soleil était de sorti et rendait le temps supportable.

Lorsque le général mis pied à terre, il aperçu son ami auprès de ses chevaux. Avec un sourire, il attrapa la bride d’Ysgr et le guida doucement jusqu’à un piquet auquel il pouvait l’attacher, tout près d’un abreuvoir. Après s’être assuré que son destrier était bien, il se dirigea rapidement vers les barrières en bois, grimpant à moitié dessus pour faire de grands signes au gérant de l’écurie.

« Sven ! » appela-t-il avec un large sourire, heureux de le voir – et de le voir en pleine forme. Imaginer cet endroit brûler avec le maître des lieux... Voilà quelque chose qui lui faisait froid dans le dos. Et pourtant, si les dragons étaient bel et bien de retour, personne ne serait réellement à l’abri... Surtout pas ici. « Quelle journée magnifique ! » le argua-t-il encore en restant sur son perchoir, attendant que son ami ne le rejoigne enfin.

Venir à la rencontre de Sven était toujours un plaisir, même lorsqu’il s’agissait de le déranger dans son travail. Il aurait pu le regarder faire, sans rien dire, son regard détaillant autant les bêtes magnifiques dont le jeune homme s’occupe que... Le dresseur. Oui, il l’avait déjà fait, et il le ferait certainement d’autre fois : Sven était ce genre de beauté qui paraissait inaccessible et, pourtant, il n’avait jamais fait comprendre que les hommes ne l’intéressaient pas. Peut-être parce que Frothar ne lui rentrait pas dedans directement. Peut-être parce qu’il voulait être délicat, faire attention à Sven. Toujours est-il qu’aujourd’hui, il ne brillait pas par sa patience et son observation, puisqu’il hélait son ami sans sommation, qui ne tarda d’ailleurs pas à le rejoindre.

« Oh, oui. On a juste été voir les Grises-Barbes, et on est redescendu dès qu’on a pu, rien que ne mérite vraiment de s’y attarder... » il haussa une épaule, le « malheureusement » se coinçant au fond de sa gorge. Mais il ne voulait pas embêter Sven avec tout ça. Même s’il prenait la menace draconique très au sérieux, Frothar reste relativement discret – comme pour beaucoup de choses, d’ailleurs. Il ne voulait pas inquiéter Sven, il n’était pas venu pour ça : mais un coin de son esprit nota avec une certaine satisfaction que le gérant de l’écurie avait remarqué son départ et son absence, aussi courte fusse-t-elle. « Hum... A part toi, je ne veux pas grand-chose, à vrai dire. » répondit-il sur le ton de la plaisanterie, l’œil taquin. Même si, au fond, ce n’était pas totalement faux non plus. D’un doigt, le général vint pouicker le nez de Sven avec un sourire en coin, avant de se pencher légèrement en avant de se hisser sur la barrière pour s’y asseoir ; « Mais si tu as quelque chose à boire, ce ne serait pas refus. »

Le sourire tendre, sage et innocent qui avait étiré ses lèvres l’espace d’un instant, ainsi que son regard plus doux se posant sur le dresseur ; tout ça disparu rapidement lorsque son œil aguerri capta un mouvement... Qui n’avait rien à faire ici. Un smilodon se dirigeait droit vers eux, et son sang ne fit qu’un tour : peut-être était-ce un jeune, mais ça n’en restait pas moins un prédateur. Le cœur battant à tout rompre, soudainement inquiet pour son ami plus que pour lui-même, Frothar sauta à terre, aux côtés de Sven cette fois, et se plaça devant lui en tendant un bras protecteur, tandis que sa main droite amorçait un mouvement pour se saisir de sa dague en regrettant de ne pas avoir pris son épée ; « Attention, Sven ! » Son ton était pressant, inquiet aussi. On sentait le meneur d’homme qui avait l’habitude de se faire écouter lors de ce genre de situations, et qui avait l’habitude, surtout, de se placer en première ligne... Mais il ne voulait pas perdre un ami, pas par négligence, pas comme ça. Il ne voulait pas que cette journée, qui s’annonçait pourtant bien, ne devienne un véritable cauchemar.

L’adrénaline avait soudainement pulsé dans ses veines dès lors qu’il avait perçu la menace. Qui n’en était pas tellement une, vue la taille de la bête qui devait encore être bien jeune, mais l’idée qu’un smilodon se balade dans le coin alors que son ami était... Plus ou moins sans défense, ça avait le don de l’inquiéter rapidement. C’est que, même s’il ne l’avouera pas, il y tenait, à Sven. Il ne perdit pas de temps avant de sortir sa dague de son fourreau, l’empoignant avec force dans le but de bondir et arrêter la bête dans sa course... Mais c’était sans compter le dresseur de chevaux qui le surprit.

Frothar marque un temps d’arrêt lorsqu’il voit le demi-elfe quitter la protection qu’il lui offrait et... Prendre le lionceau dans ses bras. La scène qui suivit semblait irréelle : le petit smilodon... Semblait prendre Sven pour sa mère, ni plus ni moins, et le général aurait pu trouver la scène touchante s’il ne gardait pas à l’esprit que ce petit allait devenir un bon gros prédateur. Certes pas aussi gros qu’un dragon, mais... Cela restait malgré tout une menace. Qui pouvait dire si un jour, l’animal n’allait pas se retourner contre son maître ou ses chevaux ? Il eu une pensé pour son cher Herulf, réfléchissant à l’injustice de la situation. Jamais on n’accuserait son compagnon à poil de risquer de le trahir.

Un lourd soupire passa la barrière de ses lèvres, tandis qu’il se mouvait enfin, le choc passé. Il s’approcha de Sven et de la bête nommée Seren, dague toujours en main, avant de se dire qu’il serait peut-être mieux de la ranger. Le lionceau ne semblait pour le moment pas particulièrement agressif ou dangereux... « Comment tu peux en être sûr ?... » Frothar plisse légèrement les yeux, poings sur ses hanches, observant un moment la scène. Comment ne pourrait-il pas craquer ou avoir mal au cœur ? Son ami semblait vraiment terrorisé à l’idée qu’il puisse tuer la bête, en un sens. Du moins, même s’il ne semblait pas si paniqué que ça, la prise qu’il avait sur le félin dans ses bras renvoyait cette image au général, qui s’accroupit finalement à la hauteur du demi-elfe et de son... Animal.

« Sven, c’est un smilodon ! » siffla-t-il entre ses dents. Il n’y avait aucune colère ou aucune déception d’aucune sorte dans son regard, juste une profonde crainte. « Comment peux-tu être certain qu’un jour, elle ne se retournera pas contre toi ?... Ça reste dangereux ! » Malgré lui, et peut-être pour prouver sa bonne foi, le général tend une main pour caresser doucement la fourrure de l’animal. Ses gestes sont loin d’être assurés, et il préfère finalement plonger son regard dans celui du dresseur en laissant sa main se poser sur sa joue, qu’il caresse doucement du pouce. « Adorable, je ne sais pas, mais elle est mignonne... Ce qui ne m’empêche pas de m’inquiéter pour toi. D’autant plus que si ce n’est pas elle qui te blesse, ça risque d’être quelqu’un qui la découvre et qui risque de la tuer en pensant bien faire... Quelle idée t’es passé par la tête, bon sang ?! » Le général soupire lourdement, à nouveau, et se penche pour embrasser le front de Sven avant de se relever. « Je ne veux pas que tu sois blessé, d’aucune manière que ce soit... »

Où est-ce que cette conversation va les mener ? Frothar n’était pas venu ici pour se disputer avec Sven, mais il ne peut s’empêcher de le trouver inconscient. En tout cas, ce que le général savait, c’est que ça n’allait certainement pas les mener dans un lit. Il y avait bien des hommes que les prises de tête poussaient à régler ça sous les draps, mais l’éleveur de chevaux ne semblaient pas en faire partie. Et puis, même, Frothar n’avait pas réellement envie de risquer leur amitié pour une histoire de coucherie. Ou de smilodon. C’est pourquoi il tente de venir caresser la bête, sans réellement y parvenir. Ce serait donner raison à Sven... « Non, mais... On ne sait jamais... » répond-t-il d’une air las en caressant sa joue, avant de déposer un baiser sur son front.

Peut-il vraiment regarder le smilodon comme un monstre, quand celui-ci semble s’accrocher à Sven comme s’il s’agissait de son père, léchant même sa joue ? Comment ne peut-il pas superposer cette vision à Herulf, qui aurait peut-être même été plus terrible que la petite lionne, dans sa jeunesse ? Le chien n’aurait certainement pas demandé son reste pour mordiller gentiment les jambes des poulains, même sans leur faire mal, juste pour jouer. Se relevant, il passe ses deux mains dans ses cheveux en faisant les cents pas. « Mais c’est une bête sauvage... Tu sais ce que je devrai faire... » soupire-t-il en observant l’animal.

Il finit par secouer la tête avec un petit ricture, vexé que le semi-elfe se serve de ses propres craintes contre lui, pour le convaincre. « Un smilodon ne peut rien contre un dragon !... » Le général est à la fois excédé, et plein de mauvaise foi. Personne ne peut vraiment rien contre un Dragon – pas seul. En revanche, contre des bandits... Son regard s’apaise, sachant qu’il a perdu. Il ne peut rien dire, et il ne dira rien, pour faire changer Sven d’avis. L’idée que Seren devienne le « garde du corps » de Sven était attrayant... Tant qu’elle restait maîtrisable ; il voulait bien tolérer beaucoup de chose pour l’homme, mais il ne tolèrerait pas un seul écart de sa protégée. Du moins voulait-il le croire.

« Un collier, oui, pourquoi pas... » Soupirant à nouveau, il se pencha doucement pour attraper la bestiole et l’arracher à l’étreinte de son « père », mais uniquement pour la caler contre son torse avec une légère appréhension, et attraper la main de Sven pour l’aider à se relever. « Je veux bien lui laisser sa chance, mais... Sven, je tiens à toi. Enormément, d’accord ? Certainement plus que tu ne le crois. Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose, je ne le supporterai pas... » Frothar retint une légère grimace – et finalement un sourire – lorsqu’il sentit les moustache de Seren chatouiller son cou et son menton. La surprise le fit se décaler légèrement, cognant son épaule contre celle de Sven, à qui il fini par offrir un léger sourire en glissant une main dans son dos pour l’inciter à se diriger vers un endroit un peu plus calme qu’à portée de vue de tous les voyageurs.

Frothar suit tranquillement Sven jusque dans sa maison, gardant un œil sur le petit smilodon qu’il tient dans ses bras. Elle est tranquille, étrangement tranquille alors qu’un inconnu la porte – un étranger qui, en plus, est tendu à cause de sa présence. Cela ne fait que donner un peu plus raison au semi-elfe, et un peu plus tort au général. Il ne pouvait pas toujours avoir raison, quand bien même il s’inquièterait jusqu’à avoir la preuve qu’adulte, Seren ne se retournerait pas contre « son père ». Intentionnellement ou non. Aux paroles de son ami, Frothar arqua un sourcil et laissa un sourire en coin apparaître sur son visage. Cela dit, il laissa s’échapper la petite boule de poils, non sans rétorquer :

« Tu veux parier ? On dirait que tu n’as jamais vu mes muscles ! »

Et le voilà à contracter l’un de ses bras, comme pour donner du crédit à ses paroles. D’autant plus qu’il n’était finalement pas certain de s’être un jour promené torse-nu devant l’éleveur. Pas qu’il soit exhibitionniste – mais il n’était pas non plus du genre extrêmement pudique. Il accepta avec plaisi l’eau offerte par Sven et s’assit à la table. Il observa le petit animal sauvage pendant quelques secondes, durant lesquelles un silence s’étira entre les deux amis. Silence que Sven finit par briser, avant de se censurer lui-même. Cela fit froncer les sourcils du fils du Jarl, qui se demanda ce que pouvait cacher cette fuite subite.

« Oh, si tu as un peu de viande séchée, ça devrait faire l’affaire. Mais sinon, ne t’embête pas. » Il sourit un instant en terminant son verre : « Tu sais, faut pas que t’hésite à venir me dire bonjour, quand tu montes en ville. J’en serai même ravi. »

Reposant la choppe sur la table en bois, Frothar se laissa basculer en arrière pour s’étirer. Son regard était ancré sur Sven, essayant de deviner la question qu’il avait fini par éluder. Le général ne voulait pas qu’il y ait des non-dits entre eux, ces choses parfois un peu étranges qui venaient obscurcir une relation et la plonger dans l’incertitude. C’est pourquoi il finit par croiser les bras sur la table pour venir remettre le sujet sur la table :

« Qu’est-ce que tu voulais me demander ? Tu as le droit de dire des bêtises, tu sais. Je ne vais pas te manger pour autant, j’espère que tu le sais. » Un sourire en coin revenait hanter son visage, taquin. Malgré tout, une réelle curiosité le rongeait.